Avec « Les Mots du Q », Camille Aumont Carnel aborde toutes les sexualités, leurs problématiques et joies, sur un ton badin mais un souci permanent de réalisme, de dédramatisation et de pédagogie.
La Dépêche du Midi : Le parti pris de votre ouvrage « Les Mots du Q » est décomplexé, humoristique et sans tabous…
Camille Aumont Carnel : Ah oui il ne faut surtout pas ! Comme dans tout ce que je fais. Ça part d’une volonté de dire « Je m’en fous, j’assume et je m’en bats le clito de ce que vous pensez ». J’ai une ligne éditoriale qui est celle du « no tabou », en effet, et du réalisme. Je veux que ça sente le vrai et, que ce soit une personne qui a une vulve ou un pénis, qu’elle puisse se dire « J’aurais pu écrire cette page ! » On a tous vécu ces trucs-là.
Tous les sujets y passent, de la masturbation à l’excitation, des règles à l’orgasme, toutes les sexualités…
On m’a restreint à 400 pages sinon il faisait 500 pages ! (rires) Et j’essaie de parcourir toutes les réalités, les diversités pour restituer des propos très réalistes et le plus inclusifs possible. Ce livre qui lance la nouvelle collection « Dire c’est agir » des éditions du Robert marque un vrai tournant pour eux et ils n’étaient pas rassurés ! (rires)
Votre propos est par ailleurs appuyé par la présence de la sociolinguiste Noémie Marignier…
En fait, Noémie a un rapport scientifique, chirurgical à la langue là où moi j’ai un rapport de l’intime. Elle va beaucoup parler d’étymologie et moi beaucoup d’usage. Je trouve que notre alliance est positive
L’approche joyeuse n’empêche pas d’aborder la zone grise, les violences sexuelles…
Oui c’est important. J’ai d’abord eu le sous-titre du livre avant le titre, , Manifeste joyeux des sexualités, pour bien revendiquer une sexualité qui est joie, désir, plaisir mais il y a aussi le sexe qui fait mal, les violences sexuelles qui font partie intégrante de tout ça. Donc en abordant ces sujets de façon frontale on accèdera plus facilement à une sexualité qui est joyeuse. Les deux approches ne me paraissaient pas antinomiques.
Pourquoi êtes-vous si à l’aise avec le sujet de la sexualité ?
Ça vient de mon éducation mais pas de façon directe parce qu’on ne parlait pas de sexualité dans ma famille. Par contre, ma mère est diplomate et inspectrice de l’Éducation nationale et papa était à la maison mais ancien inspecteur lui aussi. Donc l’ambiance à la maison était très ouverte, ils étaient très pédagogues et la sexualité était un sujet comme les autres. On n’en parlait pas mais, par contre, ils me répétaient toujours : « Si jamais tu as une question, sache qu’on est là, si on ne sait pas y répondre on te dira et on te trouvera l’information. » Et un comportement comme le leur ça change un peu tout.
Donc dès le plus jeune âge vous étiez familiarisée avec le sujet ?
Franchement, je n’ai pas le souvenir d’une adolescence complexée. J’avais un côté hyperrationnel vis-à-vis de ces questions-là et j’ai toujours été la pote à qui on venait poser des questions et parler de sexualité. Et, par prolongation, ma mère a toujours été la mère à qui on pose toujours plein de questions. Toutes mes copines parlaient de sexe et d’amour avec ma mère et pas avec leurs parents.
Mais au départ vous aviez choisi une autre voie…
À la base, je rêvais d’être la première cheffe noire française étoilée dans le Guide Michelin ou de faire de la politique, d’être ministre de l’Égalité pour me battre pour le droit des femmes. Quand j’ai voulu faire de la restauration, c’est justement parce qu’il manquait un profil comme le mien : femme noire, jeune, dans ce métier.
Et puis vous lancez votre site !
Oui #jemenbatsleclito qui a eu un effet immédiat ! Dès le premier post les femmes ont relayé ce que j’écrivais et m’ont dit que ça leur faisait du bien. J’ai lancé ce truc sur un coup de tête et je crois que j’ai répondu, sans m’en rendre compte, à un besoin de libération de la parole. Puis j’ai sorti le premier livre qui s’appelle « Je m’en bats le clito ! Et si on arrêtait de se taire ? »
Et le suivant a été destiné aux ados…
J’ai écrit #Adosexo parce que des centaines d’ados m’écrivaient sur les réseaux et me suppliaient d’écrire un bouquin pour eux. Quand j’ai lancé un questionnaire, ils ont été 26 000 à répondre, issus de toute la francophonie et mis en confiance parce que je ne réagissais pas à travers le prisme de la peur, de la projection ou de la surprotection comme peuvent le faire leurs parents. D’ailleurs je viens de créer un groupe WhatsApp pour répondre aux parents qui m’écrivent en mode « SOS je n’ai pas le décodeur de mon ado ». Je n’ai pas la réponse immédiate mais je leur explique déjà qu’ils ont oublié qu’ils ont été ados eux aussi et qu’à leur âge ils ne parlaient pas non plus à leurs parents.
« Les Mots du Q » de Camille Aumont Carnel, Noémie Marignier, illustrations de Liza Ringot (Le Robert, 400 p., 19,90 €).
« #Adosexo » de Camille Aumont Carnel, illustrations de Morgane Bezou (Albin Michel Jeunesse, 304 p., 19,90 €).
« Je m’en bats le clito ! Et si on arrêtait de se taire ? » de Camille Aumont Carnel, illustrations de Mazzagio/Thomas (Kiwi, 256 p., 14 €). En mars dernier, paraissait également « Être raciste c’est quoi ? » (La Martinière Jeunesse, 32 p., 3,50 €).
Par ladepeche.fr